Les leçons de la clinique

Ces gardes qu'on a tant de peine à congédier

protection, défenses, déni

Autour de sa naissance et jusque dans ses premières années, l'être humain peut survivre aux pires frustrations ou agressions grâce au déclenchement de mécanismes neurophysiologiques protecteurs de la personne. Ce qu'il est en train de subir lors de telles circonstances lui reste plus ou moins radicalement "étranger" et ne fait que peu, voire pas du tout l'objet d'une intégration à sa réalité. En d'autres termes, l'expérience crée une telle rupture d'harmonie par rapport aux conditions physiologiques normales dont il a joui jusqu'alors qu'elle reste enregistrée dans ses centres nerveux, en même temps que les réactions protectrices qu’elle a pu engendrer, comme un cas à part, un cliché. Tel est le cas, par exemple, d'une fracture de clavicule survenue à la naissance en tant qu'accident ponctuel sans rapport aucun avec une vie intra-utérine et une naissance qui, par ailleurs, se sont déroulées dans de bonnes conditions.

Lorsqu'il y a eu frustrations ou agressions sévères et que la nature a dû "faire l'impossible" pour garder l'enfant de la mort, la vie de l'adulte est perturbée à chaque rappel par les injonctions péremptoires du "garde impossible" enfermé dans le cliché. Quand bien même les situations qui déclenchent le rappel n'ont plus rien de l'état de réelle urgence que constituait l'expérience primale traumatique, l'adulte ne peut se défendre de répondre aveuglément aux injonctions, "FAIS ÇA !", "NE FAIS PAS ÇA !", du garde impossible.

Certes, un adulte peut éprouver de la reconnaissance à l’égard de l’enfant-en-lui, ne serait-ce que parce qu’il lui doit la vie, mais il doit aussi, pour rassurer le garde impossible, entretenir inlassablement un véritable dialogue avec lui. Dans chacune des circonstances où l’adulte s’est vu réagir malgré lui de façon inadéquate, c’est-à-dire chaque fois qu’il a été victime du cliché enregistré par l’enfant-en-lui, il doit pouvoir parler à ce dernier. Lui dire, expliquer et redire patiemment, au cours d’un dialogue réparateur, que maintenant l’état d’alerte n’est plus de mise (voir sous-rubrique : Une promenade dans la nuit…à voix haute). C’est là certes un travail de longue haleine, mais que l’adulte peut mener seul et qui paie.

L’expérience montre qu’une insidieuse mise à distance des apports sensoriels continue de se produire, jusque dans la vie adulte, chaque fois qu'une circonstance même banale de la vie quotidienne induit, par quelque conjoncture de signaux sensoriels captés mais peu ou pas perçus, le rappel d'un épisode primal occulté. En effet, qu’il s’agisse d’une expérience d’abandon, ou d’abus d’ordre sexuel, voire de torture, dont la pérennité et le poids des effets sur la victime restent largement sous-évalués (Leclerc A, 2010 ; Sironi F, 1999), le sujet peine à évoquer avec précision les circonstances dans lesquelles s’est produit un rappel. La difficulté est toujours la même, que le rappel se soit manifesté par une réaction inadéquate ou par tout autre symptôme difficile à mettre en relation avec l’événement traumatique lorsque ce dernier a fait l’objet d’un "refoulement" de la part du sujet. Ce dernier se trouve étrangement dépourvu chaque fois que ses sens lui transmettent des signaux pourtant bien réels, auxquelles il devrait pouvoir se fier, mais qui se trouvent réveiller en lui un brouillage de son intellect. Un tel brouillage est créé en bonne partie par l’ambivalence associée aux circonstances dans lesquelles la blessure fut infligée. Aussi étonnant que cela puisse paraître, il y a ambivalence aussi bien pour la torture (Sironi F, 1999, op. cit.) que pour l’abus d’ordre sexuel, ou encore le syndrome de Münchhausen par procuration (Gregory J, 2003). Le brouillage est encore renforcé par les secrets, mensonges et autres hypocrisies auxquels le sujet a été exposé à l'origine. « La déformation, voire la falsification de l'histoire de sa personne ou de l'espèce à laquelle il appartient, par exemple par la transmission de croyances aberrantes, ont un effet profondément déstabilisant » (Stettbacher, 1990, op. cit. ; aux pages 42 à 52, l'auteur décrit schématiquement les cercles vicieux qui font d'un sujet sain un blessé, d'un blessé un souffrant chez qui, de surcroît, un besoin primal peut se trouver perverti). 

 

 

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